10 avr. 2014

Après la société

Sur le blogue de Paul Jorion (ici), Michel Leis analyse et résume la situation hongroise d'un point de vue économique. Si l'on admet ses conclusions, la situation sociale n'est pas sans rappeler la conclusion de la guerre civile dans la Rome antique (voir ici): un pouvoir très concentré dans les mains d'une oligarchie soutenue par une classe moyenne. Cette classe moyenne soutient une politique hostile à ses intérêts, ostensiblement hostile aux plus pauvres, parce qu'elle en retire quelques avantages, bien maigres, en fait, en comparaison de ce que lui coûte cette politique, parce qu'elle est convaincue de se battre pour le bien, pour les intérêts de la nation, pour des valeurs morales, etc.

Extrait de l'article

En quoi consiste ce programme ? Un gros gâteau pour le monde économique, des miettes pour le peuple, et pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir trouvé leur place dans le train de l’économie triomphante, la poubelle.
Le gros gâteau, c’est pour le monde économique. Des salaires qui restent très bas (salaire minimum de 344 € par mois) dans un pays qui reste fiscalement avantageux (impôt sur les sociétés entre 10 et 19 % suivant le chiffre d’affaires). La Hongrie illustre à merveille cette stratégie d’arrière-cour industrielle à bon marché initiée par l’industrie allemande. Nombre de grandes entreprises ont ainsi annoncé dans les mois précédant les élections quelques investissements supplémentaires. Bonne nouvelle pour le gouvernement hongrois, les industriels européens contribuent à la propagande officielle. L’industrie automobile par exemple a investi près de vingt milliards d’Euros en Hongrie depuis l’effondrement du bloc de l’Est, amenant la part de l’automobile dans la production industrielle hongroise de 0 (ou presque) à près de 15 %, ce dont se félicitent les actionnaires de ces grands groupes. Ainsi Opel a annoncé 800 recrutements peu avant les élections tandis qu’Audi inaugurait une chaîne de production pour son A3. Le marché automobile local reste quant à lui à des niveaux désespérément bas, peu nombreux sont ceux qui ont les moyens de s’offrir une voiture neuve et encore moins une berline allemande…
Certes, il y eut un prix à payer pour l’économie. La Hongrie s’est lancée dans quelques nationalisations : l’énergie, l’eau, des fonds de pension privés (en quasi faillite), et même l’encadrement strict de la banque centrale hongroise dont le contrôle repasse du côté politique. Ces mesures expliquent en grande partie le succès de Viktor Orban. Sauver des fonds de pension dont la disparition aurait eu des conséquences lourdes pour les individus, baisser les prix de l’énergie et de l’eau a permis de donner des gages à la population. Ce ne sont que des miettes par rapport aux bénéfices des grands acteurs industriels européens, mais des miettes qui représentent quelques choses pour l’individu lambda : économiser une trentaine d’Euros par mois sur un revenu mensuel moyen de 450 € représente près de 7 % de pouvoir d’achat supplémentaire. Quand on regarde le prix payé par le monde économique par rapport au bénéfice secondaire, nul doute que le ratio reste très favorable : quelques groupes sacrifiés pour acheter la paix sociale et la stabilité politique, le résultat n’est pas mince.
Évidemment, le redressement des comptes de la Hongrie passe par quelques sacrifices. Une partie de la population est donc passée purement et simplement à la poubelle, en même temps que les budgets sociaux.  Pour celui qui n’a pas la chance de travailler pour une usine allemande ou qui n’a qu’un emploi précaire, la situation n’est pas très enviable. Réduction drastique des aides en cas de chômage et travaux d’intérêt généraux en contrepartie, c’est la double peine: ce travail forcé est indispensable pour survivre, mais ne laisse que peu de place à la recherche d’un nouvel emploi. Une partie des chômeurs retrouvent les réflexes d’antan, ils ne s’inscrivent plus au chômage et la débrouillardise revient en force. Triple bénéfice pour le gouvernement Orban : Une main-d’œuvre à bon marché pour entretenir et remettre en état l’espace public hongrois (qui en avait bien besoin), une réduction des dépenses sociales bénéfique pour le budget, et une réduction importante du nombre de chômeurs qui ne reflète pourtant pas une réalité économique plus sombre. Si l’on ajoute que dans le climat délétère qui règne aujourd’hui en Hongrie, ce sont les minorités (Rom en particulier) qui payent le plus lourd tribut, alors le tableau est à peu près complet.