29 oct. 2014

Derrière les drapeaux

Nous vous traduisons un article (ici, en anglais) sur la situation en Rojava, la partie kurde de la Syrie, en proie aux pillards de Daesh. Cet article a été écrit par Metin Yeğin and dans le journal Özgür Gündem (en turc, ici). Nous demandons à nos lecteurs un peu d'indulgence par rapport au texte: une double traduction altère toujours quelque peu le propos. Espérons que l'importance de l'analyse et la force de la conviction de l'auteur s'imposent à travers les langues.

Nous rappelons que l'armée du Daesh recrute massivement en Europe ... sur les ruines fumantes de l'économie, sur les drames humains de l'inoccupation forcée, de l'exclusion sociale et de l'humiliation de l'emploi que laisse ici la guerre au salaire (voir notre article ici).

Traduction - extrait

L'organisation du Daesh n'est pas intéressée que par l'au-delà, par le paradis. La situation qui est née de l'intervention dans le Golfe et de l'occupation de l'Irak [par les États-Unis et leurs alliés] a créé une sphère d'activité économique contrainte pour différents groupes. L'appareil bureaucratique, l'armée et les forces de sécurité sur lesquels le gouvernement de Saddam - à l'instar de tout régime autoritaire - reposait se sont effondrés après la chute du régime. Ces groupes étaient particulièrement exclus du nouveau régime massivement chiite. Rien n'est resté dans les mains des communautés sunnites. La part du lion des revenus du pétrole, la principale ressource du pays, a été accaparée par des compagnies pétrolières internationales et ce qui restait a été partagé entre ceux qui étaient proches des occupants - les gouvernements kurdes de Barzani et Talabani et les pouvoirs chiites au pro rata de leur influence. Il n'est rien resté pour les sunnites. Au même moment, l'agriculture qui avait porté le pays pendant des millénaires était détruite lors de l'occupation. L'économie agricole qui dépend d'un cycle annuel s'est effondrée. En particulier, les sunnites d'Irak qui ne pouvaient plus pratiquer leur agriculture ont perdu leur forme d'activité économique fondamentale qui avait été leur gagne-pain pendant des milliers d'année. Pire, ils ne produisaient plus assez pour se nourrir.
La seule chose qu'il leur restait, même si elle était tournée vers le passé, c'était "l'économie de guerre". Les revenus de cette économie ne viennent pas seulement de la vente de membres de communautés religieuses telles que les Yézidis (...). C'est une sphère économique en soi ponctuée par les rançons des otages chrétiens, des otages sexuels, par l'argent, l'or, par la gestion de la propriété conquise et la rente qui en découle, par les 20% de taxe payé sur tous les revenus de "l'État Islamique".

Cette situation a vérifié une fois de plus le vieil adage, souvent utilisé dans cette région, que "l'herbe ne repousse pas là où les soldats passent". Après l'occupation, rien ne restait à part l'économie primitive du pillage. De plus, l'emploi et le chômage - comme c'est le cas partout - ne sont pas de simples questions de revenus mais ce sont des questions de statut social. Les anciens membres de la bureaucratie, les soldats, les services de sécurité et les tribus ont remplacé leurs anciennes positions et leurs anciens statuts sociaux maintenant détruits par les explosions terribles des camions piégés, par la gloire des territoires capturés pour l'islam et, bien sûr, par le statut de martyr.

Le concept de martyr - mal compris en Occident - n'est en fait rien d'autre que ce qui vient d'une dynamique des "temps meilleurs à venir" qui occupe une place dans les fondations utopiques de toutes les structures sociales.

Encore une fois, le martyr n'est pas un statut qui n'existe que pour les morts et l'au-delà mais c'est une chose qui vient définir le statut social de la famille, de la tribu de l'intéressé(e). La récompense réelle de la famille ou de la tribu du martyr, outre la petite fraction de l'économie de guerre qui lui revient, s'exprime en terme de standing et même si la famille est appauvrie, elle gagne un statut et un prestige qui permettent de "se promener la tête haute". Une structure sociale se laisse facilement terroriser par l'économie de pillage du Daesh cachée sous la forme d'une idéologie islamique - surtout quand la population a été victime de massacre du type de Fallujah ou qu'elle a été traumatisée par la torture comme à Abu Ghraib.
C'est pour cette raison que l'économie de "communautés [communes], de collectifs et de coopératives" symbolisée par Kobanê et le Rojava [la partie kurde de la Syrie] est si importante pour le moyen orient.

Ce sera soit la démocratie radicale, soit la barbarie.
Dont acte. Décidément, les enjeux semblent proches "là-bas" et "ici" alors que les pillards recrutent en Europe, alors que, ici aussi, l'absence de perspective économique, de reconnaissance sociale condamne à l'économie du désespoir.